logo

"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


blog médias Tribunes Donation etc.

"Pour" Charlie Hebdo

vendredi 21 septembre 2012



En publiant son numéro hebdomadaire mercredi 19 septembre 2012, Charlie Hebdo a de nouveau créé la polémique en France. Quelques jours après que de violentes manifestations ont agité le monde musulman pour protester contre les outrances et les absurdités d'un mauvais film, L'innocence des musulmans, sorti aux Etats- Unis et retraçant de façon grotesque la vie du prophète de l'Islam Mahomet, le journal satirique a une fois encore cédé à la tentation en publiant des caricatures du prophète. Loin de vouloir susciter la polémique, en s'associant au navet américain, et offenser davantage la communauté musulmane dans le monde et en France, Charlie Hebdo souhaitait au contraire dénoncer la manipulation dont font l'objet des Musulmans dans le monde et  l'instrumentalisation des religions et des croyants à des fins politiques.

Comme le révèle le Canard enchaîné de mercredi 19 septembre 2012, le nanard dont il est question était en effet déjà sorti depuis plus d'un an aux Etats-Unis sans provoquer la moindre indignation, même après sa traduction en arabe le 2 juillet dernier. Il a ensuite fallu attendre septembre 2012 pour que des mouvements de protestation surgissent dans le monde musulman afin de manifester contre le film avec les malheureux excès qu'on connaît, notamment en Libye (assassinat de l'ambassadeur des Etats- Unis et de trois autres ressortissants américains le 11 septembre 2012) et en Afghanistan (explosion à l'aéroport de Kaboul le 18 septembre 2012 qui a fait  12 victimes). Il est donc vraisemblable que, tout comme pour les caricatures du journal danois Jyllands-Posten en 2006, des groupes extrémistes aient utilisé le film de série Z pour échauffer les esprits et organiser des émeutes dans le but d'accroître la pression et l'influence des religieux dans les pays majoritairement musulmans, surtout ceux dans lesquels une aspiration démocratique et laïque s'est faite jour au cours des "Printemps arabes".

En faisant à nouveau paraître des caricatures du prophète, Charlie Hebdo n'a pas cherché à offenser davantage les Musulmans de tous les pays, ni à faire le jeu d'extrémistes salafistes qui pourraient utiliser ces caricatures pour attiser encore la colère des croyants, mais à réagir à une actualité hallucinante: celle d'un film islamophobe qui provoque des manifestations sanglantes dans le monde musulman. Comme chaque semaine, Charlie Hebdo tente de faire rire avec une actualité grave, ridiculise ses protagonistes et se moque comme toujours des religions, de toutes les religions. Pour critiquer le christianisme, Charlie dessine Jésus et le pape; pour critiquer le judaïsme, des rabbins et pour dénoncer les islamistes le prophète de l'Islam Mahomet...Dans le cas qui nous intéresse, la manipulation des croyants paraît évidente: comment peut-on en effet imaginer que des individus puissent associer un film, même mauvais, au pays dans lequel il a été produit, les Etats-Unis?

Il est vrai que la représentation du prophète est proscrite dans la religion musulmane et que de tels dessins, même avec l'objectif de faire rire, vont non seulement susciter l'hostilité des islamistes  initiateurs des manifestations mais aussi des musulmans modérés qui, bien qu'hostiles aux récents débordements, sont simplement mécontents du blasphème que constitue, à leurs yeux, l'image du prophète. Aussi dénoncent-ils les excès du journal pour sa propension à moquer leurs croyances et par la même occasion à les injurier.

Reste que dans un Etat laïc et républicain comme la France, qui respecte toutes les croyances, y compris religieuses, le délit de blasphème n'existe pas: un journal ne peut pas être mis en accusation pour avoir ridiculisé un principe sacré d'une religion. En effet, la notion de sacré est totalement étrangère au droit français. La loi sur la presse du 29 juillet 1881, grande loi de la III° République, pose le fondement de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, conformément à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, les seules limites étant l'injure, la diffamation, l'atteinte à l'honneur ou la publication de fausses nouvelles. En aucun cas le blasphème ne figure parmi les délits de presse. Certains députés -de droite- mal inspirés et en quête de notoriété ont parfois tenté d'interdire le blasphème religieux par voie de caricature au nom de l'intégration des populations immigrées, du respect des croyances et du pacte social. Ce faisant, en plus de se déconsidérer- l'illustre député Eric Raoult n'a pas été réélu-, l'auteur de la proposition visait tout simplement à limiter les libertés publiques afin, paraît-il, de sauvegarder l'ordre public. Si cette méprisable proposition de loi n'a heureusement jamais atteint le stade de la discussion, les réactions de plusieurs personnalités politiques à la publication par Charlie Hebdo de  caricatures s'inscrivent malheureusement dans la même veine.

Si la qualification d'"acte islamophobe" par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) ne doit pas étonner parce qu'il y voit un blasphème que les croyants d'autres religions, les athées et le droit français ne reconnaissent pas,  incapable qu'il est s'inscrire dans une réflexion laïque, pourtant la seule possible en l'état du droit français, les réserves du Ministre français des Affaires étrangères semblent plus étonnantes. Laurent Fabius a en effet accusé l'hebdomadaire de jeter de l'huile sur le feu en  publiant ces caricatures dans le contexte actuel de troubles violents dans le monde musulman. On peut toutefois admettre que le Ministre des Affaires étrangères reste dans son rôle au sein du pouvoir Exécutif. Tout en affirmant défendre la liberté d'expression, il souhaite assurer la sécurité des ressortissants français dans les pays où sont organisées des manifestations. En plus de fermer les consulats et les lycées français, sa parole vise en fait à donner des gages aux responsables politiques étrangers et surtout aux intégristes: ainsi espère-t-il que la voix officielle de la France les conduira à plus de retenue, ce dont on peut douter.

C'est surtout la prise de position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle et figure éminente du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) qui laisse perplexe. En jugeant "pas appropriée" la publication de caricatures dans le journal et en considérant que  celui-ci s'inscrivait dans la provocation du film islamophobe et "l'imbécilité réactionnaire du choc des civilisations", l'ancien dirigeant trotskyste semble ne pas avoir compris l'ambition de l'hebdomadaire: dénoncer les fanatismes et l'instrumentalisation de la religion et des croyants par des extrémistes, mais en aucun cas soutenir les islamophobes. On est au final surpris qu'une figure de la gauche se fasse le contempteur de la liberté d'expression: souhaite-t-il  l'instauration du délit de blasphème pour éviter toute tension? La réaction du co-président  du groupe des Verts au Parlement européen Daniel Cohn-Bendit, dont on attendait plus d'humour, surprend également lorsqu'il insulte les responsables de Charlie Hebdo. Selon lui, la provocation ne doit s'adresser qu'aux détenteurs du pouvoir: aussi conviendrait-t-il d'épargner les intégristes qui ne le détiennent pas encore...Faudra-t-il attendre que ces derniers prennent le pouvoir par la force pour que la caricature de leurs idées, de leurs croyances et de leurs postures deviennent moralement acceptables?

Tout ce débat très sérieux, dans lequel se compromettent quelques éminentes personnalités politiques -elles auront d'autres occasions, n'en doutons pas, pour se racheter-, fait oublier la chose suivante: Charlie Hebdo est un journal satirique et humoristique, dans lequel le dessin occupe une  place très importante. Face aux événements toujours tragiques de l'actualité, Charlie décide d'en parler et de prendre le parti d'en rire! Ce n'est pas toujours fin, souvent vulgaire, assez grossier, parfois méchant, toujours direct...Mais ce n'est  jamais bête et cela frappe souvent juste!

                                                                                                          aleks.stakhanov@gmail.com

Faut-il ratifier le dernier traité européen par référendum?

jeudi 20 septembre 2012



La récente fête de l'Humanité a été l'occasion pour le Gouvernement de mesurer l'écart grandissant entre les attentes des militants et sympathisants du Front de gauche et du Parti Communiste et les premières mesures qu'il a annoncées. Critiqué pour la forte participation des ministres à l'université d"été du Medef afin de rassurer le patronat sur ses objectifs économiques, fiscaux et sociaux (imposition à 75 % des revenus supérieurs à 1 M€, soutien à la filière nucléaire, lancement d'une consultation entre syndicats et patronat sur la flexibilité du travail), le Gouvernement n'était représenté que par sa sympathique -mais peu expérimentée- porte-parole. Le principal grief du Front de Gauche concernait principalement le Traité sur la stabilité, la coordination et la Gouvernance de l'Union économique et monétaire (TSCG) qui devrait être adopté par voie parlementaire dans quelques semaines grâce à la majorité dont dispose le Parti socialiste à l'Assemblée nationale et au Sénat. A cette ratification parlementaire, les militants et sympathisants du Front de Gauche opposent la ratification par voie référendaire comme pour le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, convaincus qu'il s'agit de l'unique procédure susceptible d'exprimer réellement la volonté du peuple et qu'elle conduirait à son rejet comme en 2005. Une manifestation est prévue le 30 septembre 2012 prochain pour exiger un tel référendum conformément à l'article 53 de la Constitution.

L'austérité généralisée contribue à aggraver la crise économique

La principale critique adressée à l'encontre du TSCG est qu'il contraindrait les Gouvernements des pays européens signataires à mener des politiques d'austérité parce qu'il impose des limitations strictes de déficit et de dette publique. Si une stratégie économique de désendettement peut, à certaines conditions, contribuer au redressement économique d'un Etat, lequel retrouverait des marges de manoeuvre budgétaire et lui éviterait d'être soumis au diktat des marchés financiers qui exigent des taux d'intérêt toujours plus élevés comme pour l'Italie ou l'Espagne, une telle généralisation des politiques d'austérité en Europe conduit paradoxalement  à réduire la croissance de tous les Etats d'Europe et donc à rendre encore plus difficile le désendettement des Etats et le retour à l'équilibre des finances publiques. C'est cette stratégie générale de désendettement, en situation de crise économique, qui doit être combattue pour ses effets pro-cycliques: elle aggrave en fait la dette des Etats et amplifie la crise économique. Reste qu'il ne semble pas que l'objectif du TSCG soit l'austérité généralisée.

Le TSCG peut avoir des effets contra-cycliques et ne conduit pas mécaniquement à l'austérité

Si le TSCG prévoit bien une limitation du déficit structurel à 0,5 % du PIB et de la dette à 60 % du PIB, cela ne signifie pas en réalité que le TSCG contraigne les Etats à une politique d'austérité pro-cyclique amplifiant les difficultés économiques actuelles. En effet, alors que le précédent pacte de stabilité et de croissance (PSC) limitait les déficits à 3 % du PIB, la nouvelle référence à une norme structurelle -et non plus conjoncturelle- du déficit laisse penser qu'il sera possible de dépasser les 3 % de déficit en situation de crise. En effet, il se peut très bien qu'un pays connaisse un déficit structurel de 0,5 % et un déficit conjoncturel bien supérieur à ce seuil et bien au-delà des anciens 3 % du PSC, et ce en raison de la vigueur de la crise. Le TSCG n'impose donc pas par lui-même une politique d'austérité en temps de crise. Alors que l'objectif du Gouvernement Ayrault de réduction du déficit public -conjoncturel- à 3 % du PIB en 2013 est critiquée en cette période de ralentissement de l'activité économique (prévision de croissance de 0,5 % à 0,8 % en 2013), l'adoption de la nouvelle norme de 0,5 % de déficit structurel que prévoit le TSCG pourraît même paraître plus laxiste que l'objectif défini de 3 % puisqu'un pays pourra très bien respecter la norme structurelle  (0,5 % du PIB) en dépassant les 3 % conjoncturel, ce seuil issu du PSC devenant caduc après ratification du TSCG. Ainsi le Gouvernement Ayrault propose-t-il un objectif qui semble plus strict que ce qu'imposerait le TSCG si celui-ci était ratifié.

La nouveauté du TSCG concerne principalement les périodes de croissance

C'est surtout en période de croissance que le TSCG impose des efforts nouveaux aux Etats: en effet, dans une telle situation, le déficit structurel devra aussi être contenu à 0,5 % du PIB, ce qui implique mécaniquement un excédent conjoncturel. Le principal effet du TSCG sera donc surtout d'imposer un excédent budgétaire en période de croissance, ce que n jamais réalisé la France, y compris pendant la période 1997- 2002, dernière période de croissance forte. Mais il ne s'agit pas  d'empêcher tout déficit et toute politique de relance en situation de crise puisque la référence à une norme de déficit structurel (0,5 %) autorise des déficits conjoncturels beaucoup plus importants. Dans ces conditions, il ne peut être reproché au TSCG son caractère pro-cyclique: il semblerait plutôt qu'il s'agisse cette fois d'un mécanisme véritablement contra-cyclique et donc économiquement pertinent, prévoyant la réduction des déficits en période de croissance mais aussi la possibilité de relances  en situation de crise. Auparavant, le PSC limitait trop drastiquement le déficit conjoncturel en situation de crise (3 %) sans prévoir de retour  à l'équilibre ou à l'excédent en période de croissance et semblait donc réellement pro-cyclique.

Si l'on ajoute que les déficits structurels peuvent atteindre 1 % du PIB si la dette de l'Etat est durablement inférieure à 60 % du PIB,  le TSCG semble moins rigide que le précédent pacte. Par ailleurs, des mesures temporaires et des circonstances exceptionnelles pourront être prises en compte pour ne pas respecter la lettre du TSCG décidément plus souple qu'il n'y paraît.

Le TSCG ne changera pas la construction européenne

Nous avions indiqué dans un précédent article que le TSCG ne changerait pas la donne en matière européenne, ce qui pouvait expliquer qu'on ne s'y oppose pas.

En effet, la gouvernance européenne n'en ressort pas fondamentalement renforcée, pas plus que la construction européenne, et le citoyen européen n'apparaît toujours pas en mesure d'influer directement sur le processus décisionnel européen. Toutefois, le TSCG aura pour effet d'accroître la supervision de la Commission européenne , gardienne des Traités, dans le respect des normes définies et obligera un Etat à retourner à l'équilibre -voire à l'excédent- en période de croissance économique. En période de crise, il semble que le TSCG soit moins contraignant que ne l'était le PSC.

Le TSCG doit-il être une cause de rupture à gauche?

Dans ces conditions, on peut s'interroger sur l'opposition acharnée du Front de Gauche devant un tel Traité. Certes, la ratification par référendum d'un traité est une possibilité offerte par la Constitution et il est dommage que les citoyens européens ne soient que très rarement appelés à s'exprimer directement sur un projet européen. Toutefois, on ne peut pas considérer que la ratification parlementaire constitue un déni de démocratie puisque la France reste une démocratie représentative, dans laquelle la quasi-totalité des lois et des traités sont approuvés par voie parlementaire. L'offensive du Front de Gauche pour un référendum a donc une visée symbolique: il s'agit d'appeler à davantage de démocratie directe (pourquoi ne pas alors appeler à une mise en oeuvre effective et simplifiée du droit d'initiative populaire prévue à l'article 11 de la Constitution depuis le 23 juillet 2008) et surtout à se différencier d'un Gouvernement qu'il juge trop modéré et conserver des marges de manœuvre électorales. Cependant, la contestation du TSCG peut produire l'effet inverse de celui recherché: en effet, plus souple que son prédécesseur, son rejet par référendum -lequel n'a rien d'acquis- nous replacerait dans le cadre stricte du PSC dont les effets sont plus strictes et pro-cycliques et donc économiquement moins pertinents; Quant à appeler à la mise en oeuvre du référendum d'initiative populaire, un tel mot d'ordre paraît trop technique pour être mobilisateur alors que la critique permanente de l'Europe reste beaucoup plus simple et politiquement plus rentable.

                                                                                                                                 Stakhanov
                                                                                                          aleks.stakhanov@gmail.com

La mondialisation de l’inégalité

dimanche 16 septembre 2012



François Bourguignon dans La mondialisation de l’inégalité, publié cet été dans la collection La République des idées au Seuil cherche à éclairer le rapport entre mondialisation et inégalités. Cet ouvrage riche en données empiriques est à la fois prospectif et prescriptif. Il permet d’avoir un éclairage sur la dynamique des inégalités, en différenciant la tendance mondiale des évolutions nationales apportant ainsi des éléments de compréhension des politiques économiques à mener dans le contexte de la mondialisation. 

Des inégalités inégales 

En France, le niveau de vie individuel moyen annuel est d’environ 18000 euros en 2006, les 10% les plus riches y reçoivent 23% du revenu total et un peu plus de 6 fois le revenu des 10% les plus pauvres. Le coefficient de Gini est de 0,28 (ce qui signifie que l’écart de niveau de vie entre 2 personnes sélectionnées au hasard vaut donc 28% du revenu moyen). Le Brésil, pays dit « émergent » est un des pays les plus inégalitaires au monde. Le niveau de vie des 10% les plus riche est de 22000 euros quant il est seulement de 500 euros pour les 10% les plus pauvres. L’écart est de plus de 40, et le coefficient de Gini est de 0,58. En Ethiopie, les 10% les plus riches vivent avec 1000 euros par personne et par an, et les 10% les plus pauvres survivent avec environ 160 euros par an. Au niveau mondial, l’écart de niveau de vie entre les 10% les plus riches (qui vivent avec environ 27000 euros/an) et les 10% les plus pauvres (niveau de vie annuel de 300 euros/personne) est de 90. Le coefficient de Gini est de 0,66.

Les inégalités dans le monde sont donc bien au-delà des inégalités existantes au sein des communautés nationales, cependant ces deux dimensions de l’inégalités connaissent des dynamiques différentes. Depuis 1820, l’inégalité mondiale a connu une hausse considérable, c’est seulement depuis 1989 que l’on commence à observer une baisse. Ainsi cet ouvrage met en avant un paradoxe, alors qu’on observe une baisse de l’inégalité mondiale, que l’auteur qualifie de « retournement historique », on assiste dans le même temps à une augmentation des inégalités au sein des territoires nationaux. Il y a ainsi un risque d’internalisation de l’inégalité, menant au passage d’inégalités entre les nations hier, à l’inégalité au sein des nations demain (Bourguignon; Guesnerie; 1999).

Des inégalités nationales qui montent

A partir des travaux de Saez et Piketty sur les Etats-Unis et ceux de Landais sur la France, on peut en effet mettre en avant une tendance au retour des inégalités (mesurées par les écarts inter-décile et inter-centile) et notamment à un rythme de croissance de celles-ci similaire à celui de la fin du 19e siècle et ce depuis une vingtaine d’années maintenant. La hausse des inégalités s’effectue par le haut de la distribution des revenus. Les 1% les plus riches connaissent des augmentations de revenus considérables. Cette évolution se retrouve dans les ¾ des pays de l’OCDE, pays scandinaves compris (rapport de l‘OCDE, Growing unequal, 2008). C’est également le même constat qui est opéré dans la grande majorité des pays en développement. Ainsi en Inde, en Chine, les gains de la croissance ne profitent qu’à une partie privilégiée de la population. 

Éléments d’explications 

Il serait aisé de rapprocher cette montée des inégalités internes à l’une des principales évolutions qu’a connu le monde sur cette période, l’intensification du processus de mondialisation à travers l’internationalisation des échanges. Cependant, à l’instar de Paul Krugman, pour F. Bourguignon la mondialisation n’est pas coupable. En effet, celle-ci a permis pour les pays émergents de se développer grâce à une croissance forte. Les gains dans les pays développés sont moins flagrants, mais existent. En revanche, Bourguignon ne nie pas que la mondialisation entraîne des changements structurels impactant notamment la répartition des richesses au sein des nations. La mondialisation a permis en effet de faire baisser les prix d’un certains nombres de produits importés et permet également de nombreux gains de productivité grâce à la spécialisation de nos économies dans les technologies de pointe. Elle a dans le même temps, entraîné dans les pays développés une certaine désindustrialisation. De même la concurrence des pays à bas salaire limite les perspectives d’évolutions salariales dans les secteurs victimes de la compétition internationale. La mondialisation joue également un rôle dans la montée des inégalités au sein des nations voyant ainsi s’apprécier la rémunération du capital (au détriment du travail), augmentant ainsi les taux de profit. L’explosion des très hauts revenus, s’explique en partie par l’extension de la taille des marchés. Par exemple, les artistes ou les sportifs ont bénéficié de l’augmentation de leurs audiences grâce au développement des techniques de communication. De la même manière, la taille des entreprises exerçant à l’international a augmenté, voyant du même coup la rémunération des dirigeants augmenter. 

Le tournant libéral en cause 

Mais la montée des inégalités s’expliquent également par la dérégulation des marchés qui s’est opérée depuis le tournant libéral du début des années 1980 sous l’impulsion de Reagan et Thatcher. Ainsi du point de vue distributif, on observe un recul de la progressivité de l’impôt. Les revenus du capital et ceux du travail ne sont pas soumis au même régime. Le capital bénéficie, au nom de sa plus forte mobilité, d’une fiscalité plus avantageuse. Ainsi, par exemple pour la France on obtient un taux moyen d’imposition régressif (Landais, Piketty, Saez). La dérégulation financière, profitant aux détenteurs de capitaux, et celle du marché du travail, contribuant à précariser les moins qualifiés, ont également conduit à l’accroissement des inégalités nationales. C’est dans ce contexte libéral observé dans de nombreux pays de l’OCDE que les inégalités nationales se sont remises à progresser. 

Une redistribution mondialisée pour une mondialisation équitable 

La mondialisation, nous explique F. Bourguignon, a permis d’hisser des millions de personnes au dessus du seuil de pauvreté, elle permet le rattrapage des économies émergentes, et réduit ainsi l’inégalité mondiale. Au niveau national, en revanche, elle est l’une des causes, directe et indirecte, de l’augmentation des inégalités. Ce n’est finalement pas la mondialisation qui est en cause dans la dynamique des inégalités mais plutôt la domination de la « doxa libérale » sur l’économie, qui mène souvent à opposer équité et efficacité conduisant à l’immobilisme politique ou du moins au « laisser-faire ». F.Bourguignon tord le cou à cette idée. Pour lui, les politiques n’ont pas à choisir entre équité et efficacité. Tout d’abord, il apparaît que les inégalités puissent être néfastes à l’efficacité économique. En effet, l’explosion des inégalités peut être source de déséquilibres macro-économiques. L’exemple de l’apparition de la crise économique et financière né aux Etats-Unis trouve son origine pour J. Stiglitz dans l’augmentation des écarts de revenus au sein de la société américaine. Pour l’auteur, toutes les « imperfections de marché sont responsables d’inégalités, qui contribuent dans le même temps à rendre l’économie inefficace. » 

De la même manière, le mécanisme du crédit visant à prêter à ceux qui ont des garanties plutôt qu’à ceux qui n’ont rien peut mener à détourner les fonds prêtés des projets les plus productifs. L’inégalité de fortune conduisant à une inégalité d’accès au marché du crédit est source d’inefficacité économique. Le même argument peut également s’appliquer à l’éducation. Enfin, l’inégalité est néfaste à l’économie car elle entraîne l’apparition de troubles sociaux et politiques. La situation du Brésil, du Mexique ou de la Colombie illustre bien cette idée. Près de 10% de la population travaille dans le domaine de la « sécurité ». F.Bourguignon s’interroge sur l’efficacité d’une telle situation tant il semblerait plus utile que ces personnes soient employés dans des domaines où les externalités sont importantes (infrastructures, santé, éducation…). 

Ainsi des politiques doivent être mises en places pour lutter contre ces inégalités qui sont ni souhaitables moralement ni économiquement efficaces. L’enjeu est d’arriver à lutter contre les inégalités nationales sans juguler la réduction des inégalités mondiales. Une partie des inégalités nationales est la conséquence de la mondialisation. Certains sont tentés à prendre des mesures protectionnistes, le terme de « démondialisation » s’est notamment popularisée en France au cours de la compagne à l’élection présidentielle. Ce type de repli nationaliste est à éviter pour une communauté soucieuse du bien-être de la population mondiale. F. Bourguignon s’interroge donc dans les dernières pages de cet ouvrage sur la manière de rendre compatible la mondialisation et le recul des inégalités nationales. L’aide au développement est aujourd’hui le seul instrument de redistribution internationale. Les pays riches consacrent ainsi près de 0.35% de leur PIB à cette aide. Cette aide, critiquée, est utile tant elle soulage la pauvreté. Il convient cependant de s’assurer qu’elle ne soit pas détournée. Cette aide somme toute dérisoire, loin de l’objectif de 0.7% du revenu national, doit s’appuyer sur une coordination des donateurs afin d’éviter les doublons, et d’en améliorer la gouvernance. 

 L’auteur conclut son ouvrage par la phrase suivante : « Eviter la mondialisation de l’inégalité passe aujourd’hui par la mondialisation de la redistribution ». Il s’agit à travers cette idée, d’harmoniser les fiscalités nationales et de développer la fiscalité internationale afin notamment d’éviter la course au moins disant fiscal. 

"Regards" dans le top 10 politique de la rentrée

mercredi 12 septembre 2012


"Regards sur un XXIème siècle en mouvement", sous la direction de Thomas Porcher, préfacé par Jacques Attali, évoque 27 questions d’actualité qui ont marqué les dix dernières années et qui devront être débattues lors des dix prochaines. De la régulation financière à la place de la religion dans nos sociétés, en passant par l’avenir de l’industrie européenne et l’avenir du droit d’auteur.

Alors que la crise financière fait place à une croissance molle et à l’austérité, l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas sortis de la crise financière, et il existe toujours, à défaut d’un risque d’effondrement des banques, un risque de redite de la présente crise. Une stricte séparation des activités bancaires, ainsi que des règles précises sur les conditions de sauvetage des banques doivent être revues à la hausse.

Dans un toute autre registre, la question de la laïcité a animé le débat public français ces dernières années et ne devrait pas tarder à réapparaître. La tradition française de laïcité de combat s'oppose à une vision plus libérale de la laïcité. La question fondamentale du débat est de savoir si les espaces privés deviendront des espaces publics. Un relatif consensus émerge pour que le principe d’une laïcité de combat soit activé lorsqu’il s’agit de protéger des valeurs fondamentales de notre société –égalité hommes femmes, éducation obligatoire et socle de connaissances sur lequel on ne peut transiger. Mais comme le suggère le Conseil d’Etat, il pourrait être utile que l’Etat réinvestisse le champ public de la pratique religieuse en fixant le cadre dans lesquelles ces dernières doivent évoluer. Ainsi, certaines propositions, comme l’enseignement du fait religieux, la signature de conventions de représentations avec les cultes, la formation des ministres du culte sont régulièrement reprises.

Enfin, notre pays ne peut faire l'économie d'une réforme fiscale en profondeur. La mise en place d'une politique de discrimination positive en faveur des territoires les moins bien dotés est à étudier. Fixée pour un temps déterminé et dans des conditions strictes par le législateur, cette péréquation pourrait être calculée en fonction d’un indice de développement créé au niveau européen pour les territoires, et fondé sur des critères démographiques, sociaux, économiques et environnementaux. Le retour à la cohésion entre les territoires français est à ce prix.

Ces trois débats, qui ne cesseront de revenir dans le débat politique français, sont abordés dans ce livre collectif dont je vous recommande la lecture. 


Une taxe internationale sur les ultra-riches

mardi 11 septembre 2012
Il ne s'agit pas de piétiner les riches mais de redonner à la fiscalité toute sa justice. Puisqu'un ultra-riche peut s'expatrier, il faut imposer les personnes selon leur nationalité et non leur lieu de résidence. C'est le cas des expatriés américains qui sont par convention, par exemple lorsqu'ils s'installent en France, taxés aux taux américains.

Un phénomène plus nouveau est apparu ces dernières années: les ultra-riches qui renoncent à leur nationalité. Il y a alors deux solutions: une taxe internationale pourrait être mise en oeuvre comme le recommande Patrick Weil, ou la mise en place d'un impôt de sortie, comme c'est le cas aux Etats-Unis, qui serait calculé en fonction de l'espérance de vie par exemple. Ainsi, un jeune ultra-riche devrait s'acquitter d'un droit de départ équivalent à 20% de sa fortune; un vieux ultra-riche de 10% de l'ensemble de son patrimoine. Pour Bernard Arnault, cela représenterait par exemple 4 à 5 milliards d'euros. Un beau renflouement des caisses de l'Etat.



Pour réduire le déficit de la France, merci Bernard Arnault!

lundi 10 septembre 2012




Dimanche soir, le Président de la République François Hollande, a détaillé les mesures qu'il comptait mettre en œuvre pour réduire les déficits publics et atteindre le seuil des 3 % auxquels il s'est engagé pour l'année 2013. Parmi les principales mesures annoncées figurent des réductions de dépenses (10 milliards d'euros avec le gel dépenses en valeur et la stabilité des effectifs de l'Etat) et des hausses d'impôts portant respectivement sur les entreprises (10 milliards d'euros) et les ménages (10 milliards d'euros également). Si celles-ci sont naturellement impopulaires, le président s'est voulu rassurant en promettant que ces prélèvements supplémentaires seront répartis de façon juste et équitable. Ainsi les grandes entreprises seront-elles mises davantage à contribution que les petites et moyenne entreprises (PME), créatrices d'emplois et durement affectées par la crise, par le biais d'une taxation différenciée entre les bénéfices réinvestis et des bénéfices redistribués, les grandes entreprises reversant des dividendes à leurs actionnaires plus souvent qur les PME. L'impôt sur les sociétés resterait inchangé mais les niches fiscales et les réductions d'impôts en tout genre, dont profitent principalement les grandes entreprises, seront réduites afin de réduire les avantages indus et garantir une participation progressive des grandes entreprises à l'effort de désendettement.

S'agissant des ménages, le gel du barème de l'impôt sur le revenu ne concernera pas les deux premières tranches de l'impôt sur le revenu, ce qui aura pour effet d'éviter que les plus faibles revenus ne voient leur niveau d'imposition augmenter mécaniquement au rythme de l'inflation. Par ailleurs, le président prévoit une augmentation de la dernière tranche du taux marginal d'impôt sur le revenu (45 %) et maintient la perspective d'un taux d'imposition de 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d'euros par part. Loin d'être confiscatoire et "symbolique", un tel taux contribuera à combler efficacement une partie des déficits tout en permettant aux 2 à 3 000 heureux détenteurs d'une telle fortune de conserver de substantiels revenus. Le fait qu'une telle mesure ne souffre d'aucune exception (artiste, sportif) doit être salué dans un souci d'égalité entre citoyens. Par ailleurs, la réduction des dépenses publiques de 10 milliards d'euros, à l'exception des secteurs de l'éducation, de la justice et de la sécurité, devrait rassurer ces riches contribuables,  toujours soucieux -plus que les autres?- de l'efficience des dépenses publiques.

On peut regretter le manque de précision du président dans les mesures annoncées. Peut-être seront-elles précisées lors de la présentation des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale d'ici un mois? Ainsi la réforme de la protection sociale n'est-elle pas arrêtée, même si le transfert de charges sociales vers la CSG apparaît probable. Une contribution écologique pourrait être adoptée, mais s'agira-t-il d'apporter des ressources supplémentaires à la protection sociale ou bien d'opérer un transfert de charges sociales vers cette nouvelle taxe (taux de prélèvement obligatoire inchangé) afin d'améliorer la compétitivité-prix du travail?

Le président a aussi annoncé un objectif de réduction du chômage d'ici un an et de retour à la croissance d'ici deux ans à l'issue de son agenda du redressement de la France. Encore une fois, aucune mesure concrète n'a clairement été avancée. Tout au plus a été évoquée la réforme du marché du travail. Celle-ci devra être négociée entre partenaires sociaux. Si l'on ne peut que se satisfaire de la volonté affichée de respecter le dialogue social, il est cependant difficile de croire à un accord tant restent grandes les différences d'approches entre organisations patronales et syndicales, les premières privilégiant une plus grande flexibilité du marché du travail (faciliter le licenciement favoriserait l'embauche) tandis que les secondes insistent sur la protection des salariés et des parcours professionnels. En l'absence de mesures plus précises, on garde le sentiment étrange que le président fait reposer le retour de la croissance et la diminution du chômage sur la simple "réforme" du marché du travail alors qu'elles nécessitent des politiques structurelles et transversales comme la formation, l'innovation, la politique en faveur des entreprises et des industries, la recherche, la compétitivité ou même la politique commerciale et européenne.

Enfin, on peut regretter que le président ne se soit pas emparé de la nouvelle du week-end pour proposer une mesure radicale permettant de combler durablement les déficits de l'Etat. Alors que le milliardaire Bernard Arnault a annoncé vouloir acquérir la nationalité belge sans renoncer à sa nationalité française pour des raisons, sinon fiscales -il prétend qu'il continuera à payer l'impôt sur le revenu en France - du moins patrimoniales - âgé de 63 ans, notre illustre self-made man doit penser à sa succession -,  François Hollande aurait dû proposer, comme mesure de rétorsion, une réquisition, au moins temporaire, des biens et avoirs de notre mauvais patriote, ou au moins des revenus générés par son florissant groupe de luxe. Ceux-ci auraient été bien employés à réduire le déficit de l'Etat dans une période où les hausses d'impôts vont affecter l'ensemble des Français: alors que le président a assuré vouloir rendre cette augmentation la plus juste et la plus équitable possible,  il est parfaitement légitime que des milliardaires comme Bernard Arnault soient mis à contribution à proportion de leurs si hauts revenus et même pénalisés à hauteur de leur manque de civisme.

Certes, à l'ère de la mondialisation, il n'est pas étonnant de changer de lieu de résidence et ainsi,  pourquoi pas, de nationalité. Toutefois, meme si notre ami Bernard tente de rassurer son monde en affirmant vouloir conserver sa nationalité d'origine à laquelle il doit sûrement être attaché -ce que tolère le code de la nationalité belge qui autorise la pluri-nationalité, la Convention du Conseil de l'Europe de1963 sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités précise dans son article premier que l'obtention de la nationalité d'une partie contractante- en l'occurrence la nationalité belge - fait perdre la nationalité antérieure. En théorie donc, tout Français qui acquiert la nationalité belge perd sa nationalité française, mais il semble que le code de la nationalité belge ne soit sur ce point pas conforme aux dispositions de la convention de 1963 (des spécialistes peuvent-ils le confirmer?).

Quoi qu'il en soit, l'article 2 de la même convention précise que tout individu possédant plusieurs nationalités pourra renoncer à sa nationalité d'origine et ce, sans l'accord de son pays d'origine, s'il dispose d'une résidence habituelle depuis plus de dix ans dans le pays dans lequel il sollicite et entend conserver sa nouvelle nationalité. Ainsi après quelque temps passé sous le régime de la double-nationalité franco-belge, Bernard Arnault, qui dispose d'un pied-à-terre en Belgique depuis de nombreuses années après avoir fui une première fois, en 1981, le péril rouge français, pourra-t-il renoncer, de droit, à sa nationalité française sans que l'Etat Français ne puisse y trouver à redire. Il pourra alors optimiser comme bon lui semble son patrimoine: il payera certes en France, encore quelques années s'il le souhaite, ses impôts sur le revenu, mais il pourra surtout transmettre son entreprise à ses héritiers à des conditions défiant toute concurrence. Il est en effet bien connu que les impôts sur le revenu sont plus élevés en Belgique qu'en France -M. Arnault ne souhaite pas rester un résident fiscal français pour rien- mais que les impôts sur le patrimoine y sont moins élevés. Le milliardaire gagnera donc sur tous les tableaux: à la France il fera don d'une imposition sur les revenus relativement faible, quoi qu'on en dise; et à la Belgique une taxation sur son patrimoine plus avantageuse -parce que plus faible- qu'en France.

Reste encore une petite question: le patriotisme de M. Arnault dépendant de la fiscalité, l'Etat français pourra-t-il lui demander de rembourser le coût de sa formation initiale, conclue par une magnifique réussite à l'une des plus prestigieuses écoles de la République et qui a été intégralement financée par le contribuable français? Par ailleurs, notre milliardaire n'a-t-il pas peur de voir son géant du luxe disparaître sur un coup de dé après un mauvais pari, une  relance hasardeuse ou un "tapis" ("all-in") mal négocié de son fils – successeur désigné?- dont le goût pour le poker est connu? Face aux risques de dilapidation de l'empire familial, mieux vaudrait la nationalisation!

                                                                                                          Stakhanov
                                                                                                          aleks.stakhanov@gmail.com

Ré-enchanter l’école

vendredi 7 septembre 2012




Les résultats de la France aux tests de performance scolaire PISA  n'ont cessé de se dégrader passant de la 13e place en 2000 à la 22e place en 2009. La France compte environ 20% des élèves entrant en 6e qui ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter). Améliorer l'école devient une urgence et devrait être l'un des enjeux majeurs du quinquennat.

L'école a réduit certaines inégalités, notamment celles concernant les sexes. Cependant, la France est le pays de l'OCDE où les résultats scolaires sont le plus corrélés à l'origine socio-économique. Il y a deux fois plus d'enfants en retard de deux années scolaires dans les ZUS que dans les autres quartiers. Les travaux de F.Dubet ou encore ceux d'O.Galland, sur la jeunesse montrent que l'école et son système méritocratique a un impact négatif sur le moral des jeunes. L'école entraîne souvent une frustration en délivrant des diplômes qui subissent une certaine inflation, et ne permettent de trouver des postes à hauteur de leurs espérances, et elle dévalorise en naturalisant la réussite sociale à travers la réussite scolaire faisant porter à l'individu le fardeau de son échec.

L'enjeu de l'école au XXIe siècle est de tendre vers plus de justice.

Pour que l'école atteigne les objectifs qui lui sont fixés, il faut améliorer la gouvernance des écoles en même temps que l'on accroît les moyens qui leur sont attribués. E.Hanushek et L.Woessmann montrent que de bonnes performances de l'enseignement secondaire et primaire stimulent la croissance d'un pays et sa capacité à générer des revenus futurs supplémentaires. Améliorer l'Ecole passe par le recrutement d'enseignants, mais cela n'est pas suffisant. Il faut revaloriser le travail enseignant. Cette revalorisation n'est pas uniquement salariale, elle passe par une réflexion sur la formation ainsi que sur les missions de l'enseignant. Si le système des IUFM n'était pas idyllique, il présentait l'avantage d'assurer une entrée dans de bonnes conditions dans le métier.


Les missions de l'enseignant doivent évoluer. Le nombre d'heures global de présence sur l'établissement doit augmenter en contrepartie d'une diminution des heures d’enseignement. L'enseignant doit s'approprier son établissement et en devenir un acteur à plein temps.

La réforme de X. Darcos en 2007 sur l’autonomie des lycées, renforce le pouvoir des chefs d'établissement et dévalorise les enseignants. Plusieurs expériences d'établissements « autogérés », tel que celle menée au centre expérimental pédagogique et maritime en Oléron (CEPMO), montre que l'autonomie des établissements prend tout son sens à partir du moment où un grand nombre de décisions est confié directement aux enseignants.

L'école, qui s'est écartée de son objectif de démocratisation en délaissant les vaincus de la compétition scolaire doit évoluer vers plus de justice. En l'absence d'une politique urbaine efficace visant à la mixité socio-résidentielle, la carte scolaire doit être renforcée. Les parents d'élèves, sont confrontés à leur contradiction, un grand nombre déclare être conscient des enjeux de la mixité sociale tout en considérant qu'ils aimeraient avoir le libre-choix de l'établissement de leur enfant, entraînant ainsi le contournement et l’assouplissement de la carte scolaire. L'affectation des élèves dans les établissements doit se faire à partir de quotas tenant compte de l'environnement socio-urbain des élèves. Cette mesure doit s'accompagner d'une réduction du financement public des établissements privés ainsi que d'un conditionnement de celui-ci à l'application de quotas de recrutement.

Pour mieux prendre en compte tous les élèves dans leur diversité, il faut également diversifier l'offre éducative publique. Des établissements innovants existent (réseau FESPI) mais ils ne sont pas encore assez nombreux, et connus. Il s'agit de structures de tailles plus adaptés pour prendre en compte la singularité et les difficultés de chacun. Ces structures sont particulièrement adaptées pour prévenir le décrochage scolaire et leur développement dans chaque académie devrait être l’une des priorités afin notamment d’améliorer les conditions de l'expérience scolaire.