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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Être blonde: un avantage économique?

vendredi 30 avril 2010

Dans un article récent sur le lien entre beauté et salaire, nous avions évoqué les travaux de Hamermesh sur le marché du travail nord-américain: une personne au physique peu avantageux gagnera 6% de moins que la moyenne et une personne séduisante 4% de plus. L’importance accordée à la beauté varie d’une société à une autre. En Chine, le physique des femmes est plus sujet aux pénalités ou aux bonus sur le marché du travail. A Shanghai, les chiffres sont de –25% et +3% pour les hommes et –31% et +10% pour les femmes. En Grande-Bretagne, les hommes sont plus pénalisés que les femmes (-18% contre -11%) mais la prime à la beauté est la même quelque soit le genre (+1%). Les travaux d’Hamermesh ne mettaient pas en avant une particularité physique plus qu’une autre : c’est le critère d’attractivité qui l’emporte.

A l'inverse, une étude réalisée par des chercheurs de l'université de Queensland en Australie, indique que les femmes blondes gagnent en moyenne 7% de plus que les femmes ayant une autre couleur de cheveux. A partir d’un panel de 13.000 femmes, les auteurs de l’étude montrent que les blondes gagnent en moyenne 1.600 livres de plus par an pour un salaire annuel de 22.000 livres, soit un peu plus de 25.000 euros. Cette différence de rémunération reste équivalente que l'on intègre ou non des critères comme la taille, le poids ou l'éducation. Peut-être encore plus déroutant, l'étude révèle aussi que les femmes blondes se marient avec des hommes gagnant 6% de plus que la moyenne.

Relayée par les médias français, la conclusion de l’étude par le Docteur Johnston était la suivante : «Les femmes blondes sont souvent décrites comme étant plus séduisantes que les autres femmes, mais aussi moins intelligentes». Conclusions si banales et peu formulées qu’elles faisaient perdre toute crédibilité à l’étude. Mais il y a une erreur d’interprétation. Les conclusions de l’étude, sans pouvoir expliquer très concrètement l’écart salarial entre les femmes blondes et les autres femmes, étaient plutôt : « La perception que l’on se fait des femmes blondes est telle que leur attractivité l’emporte sur les préjugés que l’on peut avoir à propos de leur intelligence ». Et d’après la très sérieuse Association Internationale des Blondes, les blondes sont assez rationnelles pour mettre en avant leur avantage physique présupposé, en particulier sur le marché du travail.

Pourquoi une telle attirance pour les blondes ? C’est un phénomène économique classique : la rareté fait augmenter la valeur d’un bien. Les blondes ne représentent que 16% des femmes françaises; la moitié sont de fausses blondes. Que ce soit sur les sites de rencontres, ou pour solliciter des dons, les blondes ont toujours un avantage sur leurs concurrentes. Pour les psychologues, l’«effet blonde» n’est qu’un effet de répétition des stéréotypes. Mi-femme fatale, mi-imbécile heureuse, la belle blonde modifie les comportements masculins : les chercheurs remarquent des pertes de moyens intellectuels et des attitudes volontairement moins « cérébrales » lorsqu'un homme se retrouve face à une belle blonde. Il y a donc bien un «effet blonde».

A ce niveau de réflexion, votre humble serviteur se demande pourquoi les pays scandinaves caractérisés par une population majoritairement blonde – plus de 80% dans certaines régions - ont également une préférence pour les blondes. Cela vient de l’image que le monde extérieur leur renvoie : étant des petits pays très ouverts au commerce, aux échanges universitaires, aux expériences et aux périodes de travail à l'étranger, les scandinaves ont remarqué que leur exotisme – cheveux blonds, yeux clairs - est un avantage comparatif.

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Comment votre prochain post sur Facebook mettra fin à Hollywood par Halim Madi

mardi 27 avril 2010

Le ratio 3/10 fait la pluie et le beau temps dans le monde du marketing : un client satisfait d’un produit en parle à 3 personnes dans son entourage alors qu’un client mécontent communique son sentiment à 10 personnes. Ce sont évidemment des approximations mais le phénomène est bien réel : les mauvais sentiments se font plus souvent entendre que les bons. L’économie comportementale peut nous aider à comprendre le phénomène.

L’économiste et psychologue Daniel Kahneman propose à un échantillon significatif le jeu suivant : « On lance une pièce de monnaie. Vous choisissez pile ou face sachant que si vous perdez vous devez payer 100 €. Quel doit être le montant minimum à remporter en cas de gain pour que le jeu devienne intéressant à vos yeux ? ». Les réponses allaient de 51 (!) à 600 avec une moyenne globale de 190. Les chercheurs veulent tout simplement comprendre l’aversion que l’on a vis-à-vis des pertes : en moyenne, on déteste perdre 2 à 2,5 fois plus que l’on aime gagner. C’est ce rapport d’intensités qui explique notre réaction de client vis-à-vis d’un produit acquis : un achat réussi nous enthousiasme moins qu’un mauvais achat nous exaspère. En clair, le gâchis ou le sentiment de se faire rouler énerve plus que la bonne affaire ne rend heureux.

Mais ce ratio de 3/10 évolue aujourd’hui pour signifier autre chose. Dans l’image que chacun construit en ligne, mécontentement et satisfaction sont des denrées essentielles. Ils alimentent nos statuts et nos conversations. Aujourd’hui, un client - qui a potentiellement 500 amis sur Facebook, dont 200 susceptibles d’être attentifs à son statut mais également 300 followers en moyenne sur Tweeter et 200 personnes parcourant son blog - n’est plus une machine à consommer mais un panneau publicitaire incontrôlable. Une opportunité pour les marques autant qu'une menace considérable.

Jeff Jarvis, journaliste américain, est ainsi connu pour être l’homme qui a transformé Dell sans jamais y avoir travaillé. Excédé un jour par l’inefficacité du SAV de Dell et des problèmes sur son portable, il publie un post sur son blog: « Dell Hell ». Dans l’heure qui suit, 2500 commentaires se rallient à sa cause. Quatre jours plus tard, le New York Times et MSNBC relayent l’histoire. Dell se rendit compte à son insu d’un problème majeur en son sein.

Aujourd’hui, nous trouvons tous dans notre entourage un Jeff Jarvis qui fait savoir ce qu’il en est de son dernier achat. Les gens du marketing appellent ces personnes des « agents alpha ». Ils diffusent l’information à une échelle supérieure à celle du commun des consommateurs. Internet et les réseaux sociaux ont renforcé leur impact à tel point que Dell a désormais une équipe dédiée qui cherche les mots « Dell Hell » et « Dell sucks » sur Google Trend et tente de remédier aux problèmes des bloggeurs influents qui les originent.

L’effort marketing a changé de terrain de jeu. Les publicités télévisées n’ont plus le même impact qu’en 1990 : en vingt ans, le cabinet McKinsey (2006) estime qu’elles ont perdu 65% de leur efficacité. Les firmes ne peuvent plus simplement diffuser leur image et l’imposer au public. La publicité est désormais un jeu interactif entre la firme et son public. Et l’élément fondateur de cette tendance est le bouche à oreilles, ou plutôt « l’écran à écran », qui a pris une dimension autre. Selon Chris Anderson, il y a 20 ans, un mauvais film, « flop » pour les intimes, perdait 30% de ses entrées au box-office en une semaine. En 2010, grâce à la vitesse à laquelle circulent les avis négatifs, il en perd 50% en une semaine. Le mécontentement résonne bien plus fort.

Donc aux amateurs de films alternatifs qui se demandent comment organiser la fin des blockbusters Hollywoodiens, il suffit de faire part de votre avis négatif sur la dernière grosse production américaine que vous venez de voir. Ou mieux, laisser l’industrie cinématographique d’Hollywood périr seul comme toutes les compagnies qui n’écoutent pas leurs clients aujourd’hui ; Hollywood est condamné.

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La « double peine» des femmes issues des minorités : discriminations ethniques et sexuelles

mardi 20 avril 2010

Dans des posts récents, nous avions déjà abordé le coût de naître femme et les discriminations patronymiques sur le marché du travail. L’observatoire des idées va cette fois encore plus loin en s’intéressant aux discriminations que subissent les femmes issues des minorités ethniques sur trois marchés : le mariage, les sites de rencontres et le lieu de travail.

Le « columnist » Lexington du quotidien The Economist revient dans un commentaire récent sur un sujet désormais classique aux Etats-Unis: le marché du mariage pour les afro-américains. Ce marché mérite débat pour deux raisons. i) D’abord parce qu’il est marqué par une pénurie d’hommes noirs ayant une bonne situation : 1 afro-américain sur 9 âgé de 20 à 29 ans est en prison et 1 afro-américain sur 3 fera un séjour en prison au cours de sa vie. ii) Ensuite, parce que les différents marchés "ethniques" du mariage sont très fermés : aux Etats-Unis, 96% des femmes mariées noires ont un mari noir et 96% des femmes mariées blanches ont un mari blanc. Il est désormais commun d’admettre que la détention des afro-américains renforce les discriminations envers les femmes noires – qui sont donc soit célibataires par défaut, soit femme de détenu - autant que la communauté afro-américaine dans son ensemble. En effet, conséquence de la détention, le « vol » des petits copains entre femmes afro-américaines est chose courante et déstabilise certains quartiers.

Qu’en est-il des afro-américaines éduquées ? Celles-ci se situent en effet sur un autre marché du mariage, celui des afro-américains ayant une situation sociale appréciable. Sur ce marché, le phénomène de détournement des maris est beaucoup plus faible pour deux raisons: les afro-américains aisés ont une probabilité presque nulle de faire un séjour en prison; du fait de la séparation sociale des marchés du mariage, une femme afro-américaine d'un milieu défavorisé a peu de chances de réussir à piquer le mari d'une afro-américaine aisée. Cependant, les afro-américaines aisées sont sujettes à une autre forme de discriminations selon Lexington : la polygamie. En effet, un homme noir éduqué a une valeur largement surévaluée sur le marché du mariage afro-américain, comprenez la demande excède largement l'offre. Difficile alors pour l’homme en question de résister aux avances. Double peine sur le marché du mariage donc.

Les afro-américaines ont-elles plus de chance sur les réseaux de rencontre? Ian Ayres, professeur de droit et d’économie à Yale a récemment étudié la question. Soucieux de promouvoir sa capacité à « matcher » les profils, le site de rencontre américain OkCupid.com publie régulièrement des statistiques sur le lien entre origine ethnique et probabilité d'une histoire d'amour. A partir de ces statistiques, Ayres montre que les femmes afro-américaines sont victimes de discrimination sur les réseaux sociaux de rencontre : le taux de réponse des hommes de toute origine ethnique aux afro-américaines est 20% moins élevé que le taux moyen de réponse. A l’inverse, les femmes afro-américaines sont celles qui répondent le plus souvent aux messages laissés par des hommes, quelque soit l’origine ethnique de ces derniers. Explication : elles reçoivent moins de messages ou de réponses que la moyenne des femmes. Discriminations donc raciales sur les réseaux de rencontres.

Qu’en est-il du harcèlement ethnique et sexuel au travail ? Une série d’articles de Jennifer Berdahl de l’Université de Toronto souligne la double peine des femmes issues des minorités dans le monde du travail nord-américain. Une femme issue d’une minorité ethnique a une probabilité deux fois plus grande qu’une femme blanche d’être victime de harcèlement sexuel. Quant au risque de harcèlement ethnique, il est 1,5 fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes issus des minorités. Au total, sur leur lieu de travail, les femmes ayant une origine ethnique sont cinq fois plus soumises aux discriminations, qu'elles soient raciales ou sexuelles, que les hommes blancs. Difficile à admettre quand on sait que les afro-américains ont un taux de réponse à leurs candidatures pour un emploi deux fois inférieurs à celui des blancs. L’ouverture du marché du travail serait a priori la solution à la diminution des discriminations sexuelles et ethniques sur le lieu du travail.

Prostitution de luxe et moralité

vendredi 16 avril 2010

Sudhir Venkatesh est venu le 15 avril présenter ses travaux à l'Ecole d'Economie de Paris. Dans un post du début du mois de mars, l'Observatoire des idées soutient que les modifications du modèle économique de la prostitution sont liées à l'apparition des nouvelles technologies de l'information, qui a renforcé le marché de la prostitution de luxe. Questionné sur le sujet, Sudhir estime que l’impact de la technologie sur la culture est moins essentiel que la « gentrification » de New York pour comprendre l'apparition d'une demande nouvelle pour les prostituées de luxe. Les NTIC ne seraient qu'un outil facilitant l'échange du service sur le marché.

L'observatoire des idées a demandé à Sudhir des informations supplémentaires sur le rapport à la moralité des prostituées de luxe, généralement très éduquées (les prostituées du réseau ‘Empire’ étaient toutes diplômées d'universités de la "Ivy league" ou de la LSE, etc.) et issues de milieux aisés. Sudhir insiste sur la dualité du marché du travail de la prostitution de luxe. Il y a deux types de travailleuses du sexe : celles qui font de la prostitution leur activité principale et celles qui en font une activité secondaire pour arrondir les fins de mois. La première catégorie de femmes est inapte au travail en entreprise : la plupart n'a d’ailleurs jamais été sur le marché du travail classique. La deuxième catégorie, celles qui souhaitent arrondir leur fin de mois, est constituée de femmes ayant le plus souvent un travail à responsabilités dans une grande entreprise. Leur choix économique n'est pas seulement opportuniste et rationnel - anesthésier la moralité contre une grosse somme d’argent – mais s’explique par le déni de la question de la moralité.

Sudhir nous a expliqué que les prostituées de luxe voient leurs rendez-vous comme des « flirts » plus que comme des échanges sexuels. Ceci est lié à deux points : d’abord aux rites de la prostitution de luxe – restaurant à la mode, fleurs et parfum en cadeau, courtoisie, rapports sexuels non-systématiques, etc. – qui masquent l’échange monétaire du rendez-vous ; ensuite, au fait que leurs clients sont réguliers sur plusieurs années et peu nombreux, trois ou quatre en moyenne. La question de la moralité ne se pose donc pas car leur activité est masquée précisément au moment où elles l'exercent, et une relation d’attirance, de confiance et d’affection se crée entre la prostituée et ses clients.

Questionnées sur leur avenir à moyen terme, les prostituées de luxe de New York étudiées par Sudhir ont toutes la même réponse : elles se voient épouser un des hommes de leur carnet d’adresse. Pour votre humble serviteur, cette réponse confirme deux choses :

- Premièrement, l’absence de moralité dans le rapport à leur métier, puisqu’elles imaginent le futur avec un de leurs clients, pourtant rencontrés dans le cadre de la prostitution. Mais le rapport aux clients est différent parce que ceux-ci considèrent les prostituées de luxe comme éduquées, donc du même monde, et par conséquent fréquentables. Cette trajectoire est différente de celle des prostituées des rues, qui finissent également souvent en couple avec un de leurs clients, mais qui i) n’ont pas de notions de l’avenir car elles exercent leur métier pour répondre à un besoin d’argent immédiat et ii) sont souvent considérées comme non fréquentables, y compris par leurs clients.

-Deuxièmement, une prise de conscience de la dépréciation de leur capital, c'est-à-dire de leur beauté. C’est ce qui les incite à penser qu’elles devront se retirer du marché de la prostitution vers 30-35 ans pour fonder une famille avec un de leurs anciens clients. Absence de moralité mais rationalité économique tout de même.

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Discrimination positive pour les riches ?

mardi 13 avril 2010

«Il ne fait pas bon d’être riche en France», plaidons pour une discrimination positive envers les riches. C’est, en forçant un peu, le résumé de la chronique d’Yves de Kerdrel dans le Figaro daté du 13 avril 2010. A en croire Kerdrel, dans notre cher pays, et contrairement aux Etats-Unis, l’incitation à devenir riche est presque nulle et décroissante, ce qui pénalise la croissance française et nuit aux plus pauvres.

Drôle de théorie alors que les hauts revenus ont récemment explosé en France et que le nombre de « riches » a augmenté. Entre 2004 et 2007, les revenus des neufs premiers déciles augmentent 4 fois moins vite que ceux du décile le plus riche; le nombre de personnes dépassant les 500 000 euros constants de revenu par unité de consommation augmente de 70% tandis que celui de ceux qui gagnent plus de 100 000 euros augmente de 28% (Insee, 2010).

Les riches sont par ailleurs moins imposés qu’on ne le croit: le taux d’imposition moyen sur leurs revenus est de 20% alors qu'"en appliquant le barème progressif de l'impôt sur le revenu" et les abattements, ils devraient l'être à 36 %. Ils profitent des niches fiscales. Contrairement à une idée reçue, les français les plus aisés ne paient pas plus d’impôts ou de cotisations sociales que dans les autres pays de l’OCDE. On ne peut qu’être surpris par la conclusion de l’auteur:

« Je rêve que tous nos compatriotes partis pour de tristes raisons fiscales reviennent en France développer leur savoir-faire, créer un esprit d’entreprise et dépenser leur argent, sans être inquiétés par une incertitude fiscale permanente».

D’autant plus que la fuite fiscale ne concerne que deux redevables de l’ISF par jour (environ 1 par jour décide par ailleurs de rentrer) alors qu’ils sont plus de 500 000. Autrement dit, 1 redevable de l’ISF sur 1000 menace de quitter la France quand leur nombre augmente de 10% par an depuis 2002. Le modèle social français semble donc propice à l’enrichissement…au moins pour les plus aisés. Il fait bon d’être riche en France.

Deuxième idée reçue : « Permettre aux riches de l’être, et d’être plus riches encore, c’est être sûr qu’il y aura moins de pauvres ».

Dans les faits, la part d’individus dits « pauvres » – ceux qui touchent moins de la moitié du salaire médian – a augmenté entre 2004 et 2007, période qui, rappelons-le, précède la crise financière de 2008. On compte aujourd’hui 8 millions de pauvres en France, soit 13,5% de la population. La conjoncture dégradée de 2009, la croissance atone de 2010 et l’arrivée en fin de droits d’un million de chômeurs ne devraient pas arranger les chiffres de la pauvreté. Il n’y a pas de lien économique certain entre augmentation des revenus des plus riches et diminution de la pauvreté.

Selon l’auteur, la discrimination positive envers les riches, qui leur permettrait d’être « plus riches encore », est un remède plus efficace que le Revenu de solidarité active (RSA): « A-t-on entendu dire qu’il y a moins de misère dans ce pays depuis que Martin Hirsch a établi son RSA prenant 1,1% des revenus financiers ? Bien sûr que non ! ».

Notification importante : le RSA est mis en place en 2009, en pleine crise économique, lorsque la croissance française est de -2,2% et ses effets n’ont pas encore été évalués. En période de crise économique, les inégalités sont susceptibles d’augmenter car les risques économiques et sociaux se concentrent encore plus sur les personnes fragiles. Il semble par ailleurs paradoxal de fustiger une politique qui prône la sortie de la pauvreté par le travail et d’avantager les politiques passives de redistribution comparables à de l’assistanat comme le fait plus loin Kerdrel :

« Il n’y a pas besoin d’avoir fait polytechnique pour comprendre que dans le cadre d’une société de perpétuelle redistribution (…), plus il y a création de richesses, plus les organismes sociaux disposent de moyens pour mener leurs politiques d’aides diverses et variées, mais aussi inefficaces que dispendieuses ».

La dernière affirmation est triplement fausse. D’abord parce que, contrairement à une idée reçue, le système de protection sociale français est peu redistributif. A titre d’exemple, le système de protection sociale américain permet de gommer 42% des inégalités de revenus entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres, alors que le système français ne gomme que 37% des inégalités de revenus entre les plus aisés et les moins avantagés. La France n’est donc pas une «société de redistribution».

Ensuite, parce que la création de richesses ne peut financer de façon optimale la redistribution que si les taxes marginales sont plus fortes sur les hauts revenus que sur les bas revenus. Ceci permet de rendre le travail plus attractif que les revenus de remplacement tout en diminuant les inégalités. Des effets démontrés depuis plusieurs années dans les travaux d’Emmanuel Saez et de Thomas Piketty.

Enfin, parce que la redistribution n’est pas inefficace. Elle permet la réduction des inégalités et la division par deux du taux de pauvreté. Aucune société ne peut se passer de la cohésion sociale et de la mise en place de filets de sécurité qui rendent justement plus attractive la prise de risque.

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La crise remet-elle en cause les valeurs morales ?

mardi 6 avril 2010
Le Parlement a adopté le projet de loi ouvrant à la concurrence les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. Le débat sur les jeux et les paris n’est pas seulement français : aux Etats-Unis, de nombreux Etats « addicted » à la ressource fiscale que représente l’économie des jeux souhaitent assouplir la régulation du secteur pour faire face à la baisse de leurs recettes fiscales conséquente à la crise économique.

La raison fiscale l’emporte sur la morale. Le phénomène n’est pas nouveau : suite à la dépression des années 1930, les Etats-Unis avaient mis fin à la prohibition en 1933 pour créer des emplois et taxer les bénéfices de l’alcool. Actuellement, deux autres débats sont revenus sur le devant de la scène : la remise en place des maisons closes et la dépénalisation du cannabis. Deux débats qui n’ont cependant aucune chance d’aboutir et qui semblent constituer le plafond des limites morales à ne pas dépasser.

Curieusement, deux autres sources de recettes fiscales sont volontairement laissées de côté: les taxes environnementales pénalisant les pollueurs et l’augmentation des taxes marginales sur les hauts revenus. Inflation du moralisme mais perte de l’éthique dira-t-on.

Il n'y a par ailleurs aucune évolution de la politique gouvernementale sur l’immigration : pourtant la régularisation, la nationalisation et le recours à l’immigration sont source de recettes fiscales. Certaines études sur les Etats-Unis (Gustman et Steinmeier, 1998) montrent que l’immigration a eu un gain net positif pour les finances publiques. Pour Storesletten (2002), le retour à l'équilibre des finances publiques passe par l'attraction des migrants célibataires qualifiés de 40-44 ans, contributeurs nets du système social.

Ni aucune évolution des mentalités sur le mariage gay. L'INSEE chiffre à 260 000 le nombre de mariages en 2009 contre plus de 400 000 en 1970. La demande de mariage diminue et le recours au PACS n'arrange rien. Mais le mariage reste un symbole de reconnaissance important pour les couples homosexuels. Avec un coût moyen de 12 705 euros le mariage, les organisateurs de mariage ont tout intérêt à faire du lobbying auprès des parlementaires pour légaliser le mariage gay.

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Génération 2000 : génération perdue ?

jeudi 1 avril 2010

Deux articles récents apportent des éléments de réponse à la question la génération « 2000 » - ou « millenials », ceux qui ont eu 18 ans au début des années 2000 - est-elle gâchée ? Le premier est de Jean-Pierre Robin du Figaro, le deuxième d’Anne Michel dans le Monde.

Robin revient sur une étude du Pew Research Center dont les conclusions sont connues : « last in, first out ». Autrement dit, les moins de trente ans ont un taux de chômage trois fois plus élevé que leurs aînés, un emploi généralement moins stable et un taux d’inactivité important. Robin cite à juste titre la théorie du « choc des générations » défendue par Louis Chauvel dans « Le destin des générations » (1998) : les écarts salariaux ont plus que doublé entre quinquagénaires et trentenaires entre 1975 et 2000 ; les risques de déclassement ont augmenté et l’accès au politique est bloqué…à cause de la « génération 68 ». Il y a là un véritable paradoxe d’Anderson : l’inflation des titres scolaires diminue leur valeur. Christian Baudelot & Roger Establet dans « Avoir trente ans en 1968 et 1998 » (2000) montre que les trentenaires de 1998 sont plus diplômés – ils ont cinq fois plus de chances d’avoir le Bac que leurs parents – mais un moindre accès au marché du travail et donc ni une mobilité, ni des revenus plus importants que leurs parents. En plus, ils devront payer la dette publique et la fracture écologique. Qu’attend la génération « 2000 » pour se révolter ?

Du côté du monde, on insiste sur la dernière note de l’INSEE : le patrimoine des français baisse pour la première fois depuis trente ans. Mais bonne nouvelle, il reste élevé : il représente 7,5 années de leur revenu disponible brut en 2007 contre 4,4 années sur la période 1978-1997. Les ménages sont majoritairement (58%) propriétaires de leur logement alors qu’ils étaient seulement 47% à être propriétaire en 1978. La génération « 2000 » est donc paradoxalement une génération « fille/fils à papa ». Jamais le patrimoine des français n’a été aussi élevé : le désavantage de l’insertion sur le marché du travail est compensé par l’aide familiale. Dans un dossier un peu plus ancien « Epargne et patrimoine des ménages » (2006), l’INSEE insistait sur le niveau trop élevé de l’épargne de précaution – une épargne pour faire face aux aléas de revenus – pour le motif du chômage. Cette épargne s’explique dans la majorité des cas par le fait que des parents épargnent au cas où un de leurs enfants serait au chômage. Même en situation de crise, les français bénéficient d’une bonne sécurité de l’emploi : plus de 80% d’une cohorte ne connaîtra jamais le chômage. Mais ce chiffre révèle également le défi de demain : les 20% restant concentrent sur eux l’ensemble des inégalités, qu’elles soient salariales, patrimoniales, ou scolaires.

La massification de l’école a changé la donne. C’est du côté de l’école qu’il faudra agir : les enfants d’ouvriers ont 23 fois moins de chances d’intégrer une des quatre grandes écoles (HEC, ENA, X, ENS). Transformons l'école pour déconcentrer les inégalités et ainsi donner tort à Bourdieu et Passeron: « Si l’école aime à proclamer sa fonction d’instrument démocratique de la mobilité sociale, elle a aussi pour fonction de légitimer- et donc, dans une certaine mesure, de perpétuer- les inégalités de chances devant la culture en transmuant par les critères de jugement qu’elle emploie, les privilèges socialement conditionnés en mérites ou en dons personnels» in « La reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement » (1970).

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